Le Québec et son expérience en matière de processus d’autodétermination externe – Dave Guénette, Alain-G Gagnon

Au cours des 50 dernières années, le débat sur la capacité du Québec à déclarer son indépendance du reste du Canada a animé la vie politique et constitutionnelle au pays. En effet, de l’élection du Parti québécois de René Lévesque en 1976, en passant par les référendums sur la souveraineté de 1980 et 1995, sans oublier le Renvoi relatif à la sécession du Québec de la Cour suprême du Canada et la Loi sur la clarté référendaire du Parlement fédéral, la question constitutionnelle de l’indépendance du Québec fait partie du paysage politique canadien.

Le Québec fait ainsi en quelque sorte figure de chef de file au sein des démocraties occidentales. Voilà un État moderne et développé qui tente d’obtenir sa souveraineté nationale, non pas en temps de guerre ou pour des raisons d’oppression politique grave, non plus pour mettre un terme à une emprise coloniale sur son territoire ou pour s’affranchir d’un système politique totalitaire, mais bien pour des raisons avant tout culturelles, identitaires, linguistiques et économiques. En ce sens, il est juste d’accorder à la nation québécoise un rôle de pionnier en matière de reconnaissance du droit à l’autodétermination externe des nations minoritaires.

À ce titre, les mouvements sécessionnistes d’aujourd’hui en Écosse et en Catalogne, s’ils s’inspirent inévitablement de l’expérience québécoise, contribuent également à alimenter les débats en ce qui a trait au droit à l’autodétermination des nations minoritaires au sein de sociétés multinationales démocratiques. À terme, il est clair que les enseignements québécois, écossais et catalans – mais aussi éventuellement ceux des cas flamand et sud-tyrolien par exemple –participent à une forme de dynamique dialogique où l’expérience pratique d’un de ces cas précis peut se révéler avoir une influence concrète sur les débats au sein d’autres mouvements indépendantistes.

Le processus québécois d’accession à la souveraineté représente ainsi une référence essentielle sur deux aspects fondamentaux distincts, mais complémentaires, soit (1) la capacité constitutionnelle du Québec d’organiser une consultation populaire et (2) celle de déclarer son indépendance du reste du Canada.

D’abord, en ce qui concerne la capacité constitutionnelle des institutions québécoises d’organiser une consultation populaire, on constate qu’à travers toute l’histoire du Canada, des pratiques de démocratie directe ont eu cours à plusieurs moments, tant au plan fédéral que dans les provinces. Malgré que l’ordre constitutionnel canadien n’ait pas formellement prévu l’instauration de telles pratiques, il n’a pas non plus eu pour effet d’empêcher leur matérialisation. Ainsi, l’usage de ces pratiques en matière référendaire au Canada, leur qualité de précédents constitutionnels, l’absence de contestation de la part des acteurs politiques lors de celles-ci et le cadre constitutionnel global dans lequel elles s’inscrivent ont tous eu pour effet d’établir les fondements juridiques nécessaires à la tenue de référendums sur la souveraineté du Québec.

En ce qui a trait à la capacité constitutionnelle du Québec de faire sécession du reste du Canada, il s’agit d’une question plus débattue et au sujet de laquelle les institutions fédérales se sont surtout penchées après le référendum de 1995. La Cour suprême du Canada a d’abord établi, en août 1998, que si un référendum sur la souveraineté du Québec obtenait l’appui clair de la population, en réponse à une question claire, les autorités politiques du Québec et du Canada auraient l’obligation constitutionnelle de négocier de bonne foi pour donner suite à l’expression de ce choix. Le Parlement fédéral a ensuite pris le relais en adoptant une loi dans laquelle il déclare que seule la Chambre des communes est apte à se prononcer au sujet de la clarté, tant de la question référendaire, que des résultats du scrutin. L’Assemblée nationale du Québec a riposté en adoptant elle aussi une loi dans laquelle elle affirme que seules les institutions politiques québécoises peuvent déterminer le statut politique de la nation québécoise et que l’obtention d’une majorité absolue (50% + 1 voix) lors d’une consultation populaire serait suffisante pour lui permettre de déclarer l’indépendance du Québec.

Il en résulte ainsi aujourd’hui une situation où il est acquis que le Québec peut organiser un référendum d’autodétermination ayant pour objectif de faire sécession du reste du Canada. Néanmoins, il demeure également des questions en suspens, dont celle relativement au seuil de la majorité populaire requise pour permettre au Québec de déclarer sa souveraineté, au flou procédural entourant l’obligation de négocier, de même qu’à la procédure de révision constitutionnelle à suivre. Toutes ces questions sont abordées plus en profondeur dans notre article « Du référendum à la sécession – Le processus québécois d’accession à la souveraineté et ses enseignements en matière d’autodétermination », publié dans le numéro 54 de la Revista catalana de dret públic.   

 

Dave Guénette

Doctorant en droit, Université Laval, Québec et Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve

 

Alain-G. Gagnon

Professeur titulaire, Département de science politique, Université du Québec à Montréal

 

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